Lettre ouverte au Député Monsieur Didier Martin : les élus EELV lui demandent de soutenir l’appel des 260 scientifiques pour une évaluation du coût réel des pesticides pour la société.
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Communiqué de presse 

Les élus écologistes de la mairie de Dijon avaient interpellé Didier Martin, alors rapporteur d’une mission parlementaire sur les pesticides, en février 2018. Une de nos revendications étant d’intégrer des études économiques sur les coûts/bénéfices des pesticides agricoles et de les comparer aux effets positifs de l’agriculture biologique. En effet, les pesticides ont un coût pour la société : leurs nuisances sanitaires, environnementales et sociales représentent chaque année plusieurs milliards d’euros de réparation de tout ordre à la charge des contribuables.

Si les citoyens exigent désormais une agriculture protectrice, nourricière et rémunératrice pour les paysans, la communauté scientifique se mobilise également face au peu d’informations sur les coûts réels de ces produits toxiques. Mais ce sujet est visiblement tabou pour le gouvernement qui refuse de donner les moyens aux chercheurs malgré leurs demandes insistantes. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, 260 scientifiques ont lancé un appel pour avoir les moyens d’évaluer mieux les « coûts cachés » des pesticides. Alors que cette prise de conscience économique pourrait être un levier puissant pour une transition agricole écologique en appliquant le principe pollueur – payeur, et malgré l’échec patent des précédents plans gouvernementaux destinés à réduire la consommation de pesticides, le gouvernement refuse obstinément de faire évaluer les coûts cachés des pesticides, sur la biodiversité par exemple.

Nous interpellons ainsi Monsieur Didier Martin pour qu’il soit en cohérence avec sa préconisation d’ « évaluer le coût des externalités négatives sur la santé et l’environnement lié à l’utilisation des pesticides » contenue dans son rapport parlementaire de février 2018. Nous lui demandons de soutenir publiquement l’appel de ces 260 scientifiques, de mobiliser son groupe parlementaire et le gouvernement afin d’attribuer les crédits nécessaires à ces travaux de recherche. Refuser cette demande des scientifiques revient à protéger, contre l’intérêt général, les intérêts des industries agrochimiques et à maintenir un modèle agricole mortifère tant pour les agriculteurs, les citoyens que pour l’environnement alors que les alternatives existent!

Frédéric Faverjon, Catherine Hervieu, Stéphanie Modde, Patrice Chateau, Sandrine Hily et Christine Durnerin.

L’intégralité de la lettre 

Monsieur le Député,

Vous avez été rapporteur d’un rapport parlementaire sur l’utilisation des produits phytopharmaceutique publié en avril 20181. Dans le cadre des travaux sur ce rapport, le groupe des élus écologistes de la mairie de Dijon vous avait interpellé officiellement pour demander d’intégrer dans les recommandations du rapport les résultats des études économiques sur les coûts/bénéfices de l’usage des pesticides agricoles et de les comparer avec les effets positifs de l’agriculture biologique2. Nous vous demandions également que le rapport préconise de développer ces études économiques pour que l’impact environnemental, sanitaire, réglementaire et social de l’usage des pesticides soit mieux connu et pour que les « externalités positives » de l’agriculture biologique soient mieux chiffrées.

En effet, les pesticides ont un coût pour la société. Ces substances toxiques génèrent des « externalités négatives » qui ne sont pas prises en compte par le marché, puisquelles ne sont pas intégrées dans le prix des pesticides. Or elles représentent chaque année plusieurs milliards d’euros de réparations issues de leurs dégâts à la charge de la collectivié (locale, régionale, nationale). Une étude de 2016 réalisée par deux scientifiques de l’INRA, à partir de plus de 60 travaux de recherche publiés dans Le Monde, estime que le coût induit des pesticides, lorsque les données connues permettent de les calculer, est supérieur à ce qu’ils rapportent en terme d’amélioration des rendements agronomiques.

Au delà des gains agronomiques bien connus, les coûts induits par l’usage des pesticides doivent être pris en compte et être transparents. Ils concernent :

– les coûts environnementaux qui concernent les dégâts environnementaux comme la perte des services écosystémiques rendus par la nature : diminution de la pollinisation, perte de biodiversité, pollution des eaux…

– les coûts sanitaires qui concernent les frais de santé des agriculteurs et la perte de productivité des agriculteurs due à l’usage des pesticides : par exemple un agriculteur sur 6 souffre d’effets indésirables liés à l’utilisation de substances chimiques, l’exposition aux pesticides doublerait quasiment le risque de survenue de la maladie de Parkinson chez les agriculteurs (CGDD, 136, déc 20153).

– les coûts réglementaires englobent les fonds publics pour réglementer et contrôler ces substances, ou assainir les eaux et les milieux contaminés : la cour des comptes a de nombreuses fois pointé, concernant les redevances liées à l’eau, le fait que le principe pollueur – payeur est loin d’être respecté sur l’usage des pesticides.

– les coûts sociaux : l’usage des pesticides diminue très fortement le nombre d’exploitants agricoles à l’hectare comparativement à l’agriculture biologique et participe donc massivement à la désertification rurale.

Nous avons globalement été déçus par votre rapport parlementaire qui ne répondait pas à l’enjeu de dépasser le constat partagé de la dangerosité des pesticides. Ceux-ci nourrissent un modèle agro-économique de courte vue, reposant uniquement sur la rentabilité financière immédiate. Les alternatives existent et ont fait leurs preuves. L’urgence est de les généraliser (voir notre communiqué de presse à ce sujet4).

Même si votre rapport parlementaire était très en retrait par rapport à nos espérances, vous avez repris quelques unes de nos demandes formulées dans les préconisations 6 et 8 de votre rapport :

Préconisation 6 : Mobiliser la recherche sur la biodiversité et les écosystèmes pour mieux évaluer les impacts des traitements, des produits phytopharmaceutiques.

Préconisation 8 : Évaluer le coût des externalités négatives sur la santé et l’environnement lié à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.

Or nous constatons aujourd’hui que le gouvernement refuse vigoureusement d’évaluer ces externalités négatives des pesticides et les coûts cachés des pesticides comme le relate le journal Le Monde (pesticides : des coûts bien cachés)5. Cet article écrivait « combien coûte à la collectivité l’utilisation actuelle de ces produits, en plans de réduction de leurs usages, mais aussi en soins médicaux, en assainissement des eaux, en érosion des services gracieusement offerts par les écosystèmes, voire en frais d’acquisition de connaissances (étudier les effets de ces produits a aussi un coût) ? C’est la question taboue, la question à laquelle il vaut mieux, semble-t-il, ne pas chercher de réponses. Le Programme prioritaire de recherche (PPR) sur les pesticides qui doit être présenté en juin par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, n’y répondra pas. Et ce n’est pas faute d’une volonté des scientifiques de se colleter avec cette épineuse question » demandée par les scientifiques de l’INRA. Ce chiffrage « pourrait être un levier majeur du changement. Pour l’heure, et malgré plus de dix années d’échec à faire baisser le recours aux pesticides, le gouvernement semble souhaiter que ces « coûts cachés » demeurent, précisément, cachés. »

Aujourd’hui, 260 scientifiques et chercheurs demandent dans une tribune du journal Le Monde6 qu’on leur donne les moyens de réaliser ces études économiques estimant que la « connaissance de l’étendue et de la profondeur des impacts des pesticides et la façon dont ils pèsent sur la société est un levier indispensable pour accélérer la transition vers d’autres modes de production« .

Aussi, pour être en cohérence avec vos propres préconisations incluses dans votre rapport parlementaire sur les pesticides, les élus écologistes de Dijon vous demandent :

– de soutenir publiquement cet appel des 260 scientifiques français

– d’interpeller le gouvernement sur son refus d’étudier les coûts sociaux, environnementaux et sanitaires des pesticides en contradiction avec les préconisations de votre rapport

– de mobiliser votre groupe parlementaire La République En Marche majoritaire à l’Assemblée Nationale pour faire évoluer la position du gouvernement

– de dénoncer vigoureusement ce refus gouvernemental scandaleux et uniquement destiné à protéger les intérêts des industries agrochimiques et ses multiples lobbies dont certains se permettent même d’utiliser des méthodes totalement illégales7

Veuillez recevoir, Monsieur le Député, nos cordiales salutations.

Frédéric FAVERJON, Catherine HERVIEU, Stéphanie MODDE, Patrice CHATEAU, Sandrine HILY et Christine DURNERIN.

1 Rapport n°852 : http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i0852.asp

2 https://21.eelv.fr/lettre-ouverte-des-elus-eelv-au-depute-didier-martin-co-rapporteur-de-la-mission-dinformation-sur-les-pesticides/ et https://21.eelv.fr/lettre-ouverte-a-monsieur-le-depute-didier-martin-co-rapporteur-de-la-mission-parlementaire-sur-les-pesticides/

3 http://www.lafranceagricole.fr/r/Publie/FA/p1/Infographies/Web/2016-01-06/pollutions-azotees.pdf

4 https://21.eelv.fr/mission-dinformation-sur-les-pesticides-une-occasion-manquee-pour-la-transition-ecologique-de-lagriculture/

5 https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/27/pesticides-des-couts-bien-caches_5455609_3232.html

6 https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/16/sur-l-impact-des-pesticides-la-recherche-scientifique-doit-eclairer-la-decision-publique_5462664_3232.html

7 https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/09/fichier-monsanto-des-dizaines-de-personnalites-classees-illegalement-selon-leur-position-sur-le-glyphosate_5460190_3244.html?xtmc=bayer&xtcr=4